Un récit de voyage alternatif
Quelques références
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Région: Afrique de l'Est
Surface: 241.550 km²
Capitale: Kampala
Habitants : 47.124.000
Taux de natalité: 36,7%
Religion majoritaire : 82,4% chrétiens
Répartition territoire : 72% agriculture, 12% forêt, 17% plans d’eau.
Monnaie : Shillings ougandais (ugx)
Langues officielles : anglais et swahili
Indépendance depuis 1962 (ex-colonie britannique)
Président : Yoweri Museveni depuis 1986
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Le business autour de la nature
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L’un des aspects les plus saisissant du voyage fut le sentiment d’être observé, tant dans les villes grouillantes de monde, que dans la campagne la plus déserte. Ma mère et moi étions de fait parmi les premiers voyageurs à sillonner l’Ouganda à la suite d’une longue période covidienne qui avait privé le pays de son tourisme. Les deux femmes que nous étions, désireuses d’explorer le pays et sa nature provoquaient l’amusement timide des militaires aux postes de contrôle et l’interrogation des habitants rencontrés. Les longues heures de route et de piste à travers tout le pays nous ont offert un vaste panorama du paysage ougandais ; l’essentiel de la nature se concentre dans les parcs nationaux, le reste du territoire étant presque exclusivement dédié à l’agriculture. Seules quelques zones de no man’s land où rien ne pousse à cause de la trop grande sécheresse du sol s’étalent dans le nord. La population ougandaise étant également dense et très dépendante du bois, les terres ont été défrichées massivement. Des parcelles d’eucalyptus parsèment notre chemin, arbres voués à devenir les supports du réseau électrique national.
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Les parcs nationaux d’Ouganda sont contrôlés par l’état, à travers l’Ugandan Wildlife Authority (UWA) - l’équivalent de nos gardes des forêts, empruntant cependant les codes de l’armée par leur uniforme et armement de type militaire. La visite des parcs étant une source importante de revenus, l’UWA s’inspire directement de ses voisins comme le Kenya et la Tanzanie où le tourisme y est davantage développé, pour y proposer différents services de guidages et les fameux permis pour rencontrer les familles des grands primates.
Nous avons constaté sur place une exploitation abusive de certaines espèces telles que les chimpanzés en forêt de Kibale, les gorilles dans la forêt impénétrable de Bwindi, les lions du Parc Queen Elizabeth ou encore le Bec-en-sabot du Nile dans les marais de Mabamba. Certes, notre présence humaine par le biais du tourisme porte un impact direct sur la conservation du milieu naturel et des espèces qu’il abrite. Mais cela prend une autre dimension lorsque, arrivées enfin sur les sommets de la forêt de Bwindi, L’UWA nous annonce mener une étude sérieuse pour comprendre les raisons de l’accroissement surprenant des naissances de gorilles après la période covidienne – presque deux années s’étaient écoulées sans visites, exceptée celles liées à la surveillance habituelle des gardes...
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Le marais de Mabamba connaît une situation similaire ; celui-ci est traversé par un axe très fréquenté d’embarcations motorisées. Ce vaste marais qui jouxte le lac Victoria est déclaré zone protégée depuis 2006 et pourtant une fine pellicule d’hydrocarbure flotte partout à sa surface. L’optimisme des guides ornithologiques annonçant près de 260 espèces d’oiseaux laisse place au constat d’un amoindrissement alarmant des populations d’oiseaux en raison de la pollution chimique et sonore permanente, ainsi que d’un assèchement lent du marais que l’on peut observer depuis les collines environnantes. Malgré mon observation assidue, je n’avais pu comptabiliser que 17 espèces différentes en une matinée... Le fameux Bec-en-sabot du Nile – un grand échassier à l’allure préhistorique menacé de disparition et dont il reste encore quelques rares couples dans ce marais, est devenu l’attraction touristique – ce qu’il faut absolument voir pour une sortie réussie, comme si les autres espèces étaient complètement secondaires. Les coups de pagaie des embarcations qui se rapprochent toujours plus ne manquent pas d’user la quiétude de ces grands oiseaux, pourtant si calmes avec leurs mouvements lents ou leur statisme à la chasse.
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L’intérêt économique des parcs et zones protégées semble être une priorité pour l’état, au détriment de la préservation de la faune et la flore. Leurs dispositifs de visites mis en place constituent aussi la garantie pour le voyageur, d’accomplir véritablement son safari en Afrique. Le souvenir inoubliable la rencontre avec le roi de la savane coûte, tant pis si le collier GPS se voit sur la photo… Bien que cet excès de proximité du tourisme avec la faune accentue le phénomène de perturbation du milieu naturel, les populations locales cohabitent aussi avec cette faune fragile. Il est fréquent de traverser des villages en bordure de parcs, voire à l’intérieur comme c’est le cas dans le Park Elizabeth et Murchison Falls. La formation des parcs ougandais, anciennement réserves de chasse puis réserves naturelles s’est officialisée tardivement dans les années 80, souvent au détriment de locaux contraints à s’installer plus loin, dépossédés de leurs terres familiales sous la pression du gouvernement. Cette cohabitation parfois non choisie entre habitants et faune sauvage pose notamment des problèmes de sécurité. De fait, l’appauvrissement de certaines zones forestières - dont l’homme n’est pas étranger - ont par exemple poussé des chimpanzés à puiser dans les cultures environnantes et le garde-manger des habitants. Le National Geographic a relaté ces raids dont l’escalade de violence est surprenante : le comportement défensif des villageois se retrouve mimé par les singes dans un jeu d’intimidation jusqu’à l’échange de jets de pierres et attaques physiques[1]. La mort d’un jeune ougandais par un chimpanzé en 2014 cristallisa ce conflit qui s’avère difficilement soluble, chacun luttant pour sa survie. Soulignons d’ailleurs que les singes n’ont plus d’autre issue étant donné l’absence de nature hors des parcs qui efface tout couloir migratoire vers d’autres espaces protégés.
Quel avenir pour l’Ouganda ?
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Au terme de notre périple d’un mois en Ouganda, nous avons eu la sensation que le pays était à un tournant dans son développement. Tiraillé par des tensions sociales internes, frontalières et des problèmes climatiques, sa volonté de développer son tourisme est manifeste. D’une part les nouveaux projets hôteliers se multiplient depuis la fin des restrictions liées au covid, d’autres part des routes en macadam sont réalisées par des entreprises chinoises dans le sud-ouest afin de relier les différents parcs les plus visités.
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Ce développement du réseau routier tourné vers le tourisme – dont la qualité est contestable par son altération rapide dans le temps - peut certes profiter aux locaux dans ces zones, mais de façon mineure comparé au manque d’infrastructures les plus essentielles dont les Ougandais ont besoin ; les puits, les écoles et les centres de santé. Dans le reste du pays et particulièrement dans le nord, le manque d’eau conduit à des situations graves dont la malnutrition des enfants au ventre enflés, ceux-ci traînant leurs jerricans jaunes usés sur des kilomètres pour ramener quelques litres à leurs lieux d’habitation. La sécheresse de ce printemps 2022 a engendré une famine dans les populations du nord, causant des dizaines de décès, certains ougandais étant réduits à manger de l’herbe pour vivre[2]…
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Outre ce manque d’infrastructures qui contraste avec les chantiers en faveur du tourisme, la menace terroriste pèse sur le pays. Des attentats orchestrés par des islamistes radicaux éclatent régulièrement dans les grandes villes, les arrestations se succèdent et des opérations militaires sont menées à la frontière congolaise. Le pays nous apparaît ainsi fractionné par les différentes ethnies qui le peuplent, la stigmatisation des camps de réfugiés congolais qui tendent à une ghettoïsation, la multiplication fulgurante des mosquées dans un territoire à grande majorité chrétienne, le sud plus tropical et le nord aride où les tribus armées des Karamojong font la loi sur leurs terres.
Ces divisions ne servent pas la nature pourtant si belle et pleine de potentiel lorsque l’on parcourt les parcs et les zones plus tropicales. La reforestation massive serait évidemment un premier pas pour créer un nouvel environnement plus sain pour la population ougandaise, mais cela passerait par l’application d’une politique agricole globale pour une meilleure gestion de ce territoire fractionné. Je pense notamment aux quelques actions de reforestations - médiatisées pour maintenir notre tranquillité d’esprit – qui restent mineures, ou encore aux feux de brousse nécessaires pour regénérer la végétation qui causent trop souvent d’immenses pertes par leur caractère systématique et le manque de contrôle de ceux-ci. Les petites communautés locales ont un rôle essentiel à jouer pour garantir une qualité de vie même la plus basique aux habitants. Des projets locaux et durables pour la communauté et réalisés par celle-ci auront davantage d’impact que les quelques initiatives associatives qui sont souvent détournées par la corruption, ou qui s’évertuent à diffuser le cliché d’une Afrique, « épanouie et heureuse avec pas grand-chose » pour combler les fantasmes des touristes et des européens.
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Si l’action en faveur d’un développement durable pour l’Ouganda doit venir de l’intérieur du pays, il y a en revanche un combat qui est à livrer, et qui a déjà commencé en France depuis trois ans. Un projet pétrolier d’envergure par Total Energies en collaboration avec son homologue chinois, la China National Offshore Oil Corporation (CNOOC) est sur le point de débuter en Ouganda et Tanzanie avec une enveloppe d’investissement à 10 milliards de dollars sur la table. Il s’agirait du plus important de la décennie, avec 419 puits de forage dont plus d’un tiers serait dans l’un des plus grands parcs nationaux, celui de Murchison Falls (projet Tilenga). Ce pétrole serait conduit jusqu’au port de Tanga en Tanzanie par le plus long oléoduc chauffé du monde (projet East African Crude Oil Pipeline), pas moins de 1500 kilomètres traversant plusieurs aires naturelles protégées. Les travaux ont commencé en février peu de temps après la fin de notre voyage, les premiers forages sont prévus pour janvier 2023, et le début de production en 2025 pour une durée de vingt-cinq ans, avec un pic de production estimé à 230 000 barils par jour[3]. Les conséquences environnementales de ces deux projets, ainsi que les violations des droits humains qui en découlent (censures, intimidations, emprisonnements arbitraires, expropriations sans compensation) seront graves et irréversibles, alarmant le Parlement européen qui avait alors demandé le report du chantier de façon urgente pour l’examen d’alternatives[4]. Deux ONG (Amis de la Terre et Survie) et quatre ONG ougandaises ont assigné le géant français en justice, avec une audience qui a eu lieu le 7 décembre au tribunal judiciaire de Paris. Les ONG invoquent un manquement à la loi dite « du devoir de vigilance », votée en 2017, qui oblige les multinationales à établir un plan de prévention des risques liés à leur activité dans le monde[5]. La décision est attendue le 28 février 2023…
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Texte : Alizée de Vanssay
Paris, le 12.12.22
Plus d’informations sur le projet Total Energies :
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RAULINE, N., Les Echos, «TotalEnergies : la bataille judiciaire se poursuit autour du méga-projet en Ouganda », 07.12.22, https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/totalenergies-la-bataille-judiciaire-se-poursuit-autour-du-mega-projet-en-ouganda-1886970.
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OUANGARI L., Ouest France, « Mégaprojet pétrolier de TotalEnergies en Ouganda et Tanzanie : l’affaire en cinq questions », 12.10.22, https://www.ouest-france.fr/economie/entreprises/total/megaprojet-petrolier-de-totalenergies-en-ouganda-et-tanzanie-l-affaire-en-cinq-questions-4d064e9e-4932-11ed-8da3-410856ccb182.
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European Parliament, “Joint motion for a resolution on violations of human rights in Uganda and Tanzania linked to investments in fossil fuels projects”, 15.09.2022, https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/RC-9-2022-0409_EN.html.
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TotalEnergies, « Tilenga & EACOP : deux projets rigoureusement étudiés et évalués », 2022, https://totalenergies.com/fr/info/tilenga-eacop-deux-projets-rigoureusement-etudies-evalues.
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GALLO. S., RENAUD, J., BART. T., « Manquements graves à la loi sur le devoir de vigilance : le cas de Total en Ouganda », Les Amis de la Terre France et Survie, juin 2019, disponible sur : http://climatecasechart.com/wp-content/uploads/sites/16/non-us-case-documents/2019/20191023_NA_na.pdf.
[1] DAVID QUAMMEN, National Geographic, « ‘I am scared all the time’: Chimps and people are clashing in rural Uganda », 08.11.22, https://www.nationalgeographic.com/animals/article/chimps-and-people-are-clashing-in-rural-uganda-feature et RONAN DONOVAN, National Geographic, “A photographer goes inside a frightening chimp-human conflict in Uganda”, 07.01.2022, https://www.nationalgeographic.co.uk/environment-and-conservation/2022/01/a-photographer-goes-inside-a-frightening-chimp-human-conflict-in-uganda.
[2] Arab News, 14.07.2022, https://www.arabnews.fr/node/266046/international.
[3] SAUVAGE G., 04.12.2022« TotalEnergies devant la justice pour son méga-projet d'oléoduc en Afrique de l'Est »,
[4] France 24, 16/09/2022, « Exploitation pétrolière en Ouganda : le parlement européen épingle le projet de TotalEnergies »,
[5] MICHEL-AGUIRRE C., L’Obs, « Au procès de Total pour ses projets en Ouganda et Tanzanie : « C’est la survie de l’humanité qui est en jeu », 08.12.2022, https://www.nouvelobs.com/ecologie/20221208.OBS66869/au-proces-de-total-pour-ses-projets-en-ouganda-et-tanzanie-c-est-la-survie-de-l-humanite-qui-est-en-jeu.html.

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